J'avais initialement imaginé composer ce trio à la manière d'un cuisinier, alliant les timbres improbables d'une voix, d'une guitare et des ondes martenot, composant des textures, avec en tête une des recettes du chef Pierre Gagnaire, son Navet blanc Buren, eau de tomate au wasabi, huile d'olive ardente givrée. Alors partant de là, cette pièce est peut-être l'histoire d'un échec (relatif) - ou bien du manque de correspondance entre ce que je suis et ce que je voulais réaliser. Au fil des esquisses que je raturais, deux idées me sont apparues:- l'une vient de la façon dont j'ai appris à cuisiner - un bon plat repose avant tout sur la préparation individualisée des ingrédients.- l'autre est une réminiscence d'un mot du compositeur Jérôme Combier qui m'écrivait, à propos de certaines de mes pièces qu'il fallait 'les écouter sans rien attendre' - prendre le son, la texture, comme elle se présente à nous.Oui, il ne faut rien attendre d'autre que ce que sont ces esquisses, même pas ce qu'elles représentent - ces sons n'ont pas vocation à proliférer, à être développés, à muter ou à fusionner - ils existent pour eux-mêmes. Leur préparation dissociée, leur composition individualisée doit être suffisamment réussie pour qu'ils ne renvoient qu'à eux-mêmes. La relation des uns par rapport aux autres repose sur bien plus que mon travail - interprètes, auditeurs sont des acteurs essentiels du sens donné.Je me suis alors souvenu des poèmes de Denis Roche et plus particulièrement de ses Dépôts de Savoir et de Technique, dans lesquels des bribes de phrases s'entrechoquent dans une prose qui renvoie le lecteur à son action de lecteur: donner sens, donner rythme, donner corps, donner vie à l'oeuvre.C'est dans cette tension de l'a-composition qu'a été écrit ce trio, à bout portant contre et pour moi-même.Colin Roche (mai 2009) / Voix, Guitare et Ondes Martenot