Par BOESMANS PHILIPPE. Quinze ans après Julie, Philippe Boesmans retrouve Aix-e...(+)
Par BOESMANS PHILIPPE. Quinze ans après Julie, Philippe Boesmans retrouve Aix-en-Provence. Trois ans après Au monde, il retrouve Joël Pommerat, dont il met en musique le Pinocchio, adapté du roman de Collodi. Dans cette parabole initiatique, la marionnette est non seulement confrontée à sa propre méchanceté, mais surtout à la vilenie du monde. Devenu petit garçon, il ira heureusement à l'école et au concert : la rédemption par la culture.
Les scènes se succèdent rapidement, brèves séquences racontées par un directeur de troupe ambulante. Il faut tout le savoir-faire virtuose du compositeur belge pour assumer cet enchaînement. Et son sens du théâtre qui, une fois de plus, fait merveille : le temps des deux parties, qu'inaugure et achève une photo de classe où les élèves ont des têtes d'âne, passe très vite. Revenu depuis longtemps des dogmes et des systèmes, Boesmans, à 81 ans, n'a plus rien à prouver, ne dédaignant ni la tonique ni la dominante - de quoi faire hurler les bouléziens... Mais son langage n'a rien à voir avec un néoclassicisme stravinskien - passionnante comparaison avec le Rake's Progress donné à quelques jours d'intervalle !
Fidèle à lui-même, il revisite toute la tradition occidentale, du choral à l'air à vocalises, de la musique savante à la musique populaire, à travers un subtil maillage où passent les ombres des grands anciens, où l'on va de l'allusion délicate à la citation ironique du 'Connais-tu le pays' de Mignon d'Ambroise Thomas. Rien d'éclaté, pourtant : tout se tient. Et il suffit d'un ensemble de dix-neuf musiciens pour déployer des sonorités irisées ou rutilantes, qui collent au texte et à une histoire qu'on pourrait suivre les yeux clos. Pinocchio est à Boesmans ce que L'Enfant est à Ravel.
Magnifique production de Joël Pommerat, aussi forte qu'épurée, plongée dans une obscurité qu'animent la vidéo de Renaud Rubiano, consubstantielle à la scénographie, et les lumières oniriques d'Eric Soyer. La fantasmagorie du conte sublime le réalisme parfois cruel de certaines scènes : rien ne pèse ou ne pose. Les personnages sont d'une étonnante vérité, du gamin tête à claques à l'instituteur chahuté, des meurtriers tortionnaires à la fée tutélaire. / Date parution : 2020-08-21/ Répertoire / 6 Solistes et Orchestre